Quel coût économique et social des DTM ? #2
Comme le rappellent De Leeuw et Klasser, la douleur est une « expérience courante avec de profonds retentissements sociaux » [1] mais aussi personnels et professionnels. Une étude de Johannes et Dworkin de 2010, effectuée sur une cohorte de plus de 20 000 individus, met en évidence que la prévalence de la douleur chronique (c’est-à-dire présente depuis au moins 6 mois) est de plus de 30 %, toutes parties du corps confondues [2]. Cette prévalence est encore plus élevée chez les femmes (34 %) que chez les hommes (26 %) et semble augmenter avec l’âge [1]. 50 % des répondants disent ressentir une douleur quotidienne et l’intensité moyenne est sévère (≥ 7 sur une échelle de Von Korff, allant de 0 à 10) [2].
Prévalence des douleurs chroniques
La précarité économique et sociale correspond à une composante occupationnelle liée à la douleur chronique. Le National Institutes of Health (NIH) s’est intéressé à cette composante en 2012 et rapporte que près de 50 millions d’américains adultes souffrent de graves maladies chroniques et/ou d’importantes douleurs. De Leeuw et Klasser commentent cette étude et soulignent, d’une part, que les individus avec des douleurs plus intenses, nécessitent « plus de services de soins de santé », connaissent « une plus grande invalidité par rapport aux individus qui reportaient des niveaux inférieurs de douleur » et que « la moitié des individus avec les pires douleurs ont signalé une bonne perception de leur santé globale » [1]. À la vue de ces résultats, il semble indispensable de mieux caractériser, sur le plan clinique, l’appréciation de la douleur (approche somatique et psycho-émotionnelle). Dans le cadre des DTM, il paraît indispensable de s’orienter vers un modèle de médecine biopsychosociale, à la fois personnalisée et participative.
Par ailleurs, Mohlin et coll. rapportent avoir suivi une cohorte de plus de 1 000 enfants pendant presque 20 ans (de 1981 à 2000) [3]. La prévalence de désordres temporo-mandibulaires (DTM), c’est-à-dire le nombre total de cas par an, est énoncée par les auteurs comme suit : 3 % à 11-12 ans ; 17 % à 19-20 ans ; 10 % à 30-31 ans ; le pourcentage de DTM persistant est de 20 % à 14-15 ans, 34 % à 19-20 ans, 28 % à 30-31 ans ; le sexe semble être aussi un facteur prédictif (2 femmes touchées pour 1 homme) [3]. Des associations significatives entre les DTM, la santé générale et le bien-être psychologique (estime de soi) ont été mises en évidence. Pour les mêmes auteurs, au cours de la période de 19 à 30 ans, la prévalence des signes et symptômes montre une réduction considérable, tandis que les gnathosonies (bruits articulaires) ont montré une légère augmentation ; de plus, les blocages articulaires montrent une diminution de 19 à 30 ans et un quart des sujets avec DTM montre une récupération complète [3].
En synthèse, un grand nombre de DTM constituent des épisodes douloureux qui débuteraient plutôt vers la fin de l’adolescence ; la plupart semblerait connaître des résolutions spontanément favorables. Le problème n’est donc pas de tous les prendre en charge, mais de prendre en charge ceux qui risqueraient de devenir chroniques et qui auraient une incidence sur la qualité de vie. Sur le plan clinique, une réflexion thérapeutique est envisagée en présence de douleurs et/ou d’une limitation fonctionnelle et/ou d’une altération de la qualité de vie.

Coût social de la douleur chronique
La douleur chronique constitue un coût certain pour les états et les organismes de remboursement (assurance maladie, mutuelles, etc.). Les raisons en sont multiples : dépenses pour les services de santé (consultations aux urgences, traitements médicamenteux, suivis psychologiques, baisses de productivité, arrêts de travail, pertes de travail, indemnités d’invalidité, etc.) ; il faut également ajouter les traitements inappropriés [4, 5]. La prise en charge des douleurs oro-faciales est un enjeu de santé publique : Lipton et coll. indiquent qu’un cinquième de la population générale a connu au moins un type de douleur oro-faciale dans les 6 derniers mois (le mal de dents pour 12,2 % de la population, douleurs aux articulations temporo-mandibulaires pour 5,3 %, et des douleurs au visage et/ou aux joues pour 1,4%) [6].

Dans le seul domaine des douleurs oro-faciales, Durham montre en 2016 que le coût de santé (consultation, médicaments, appareils et interventions) augmente de 366 £ (soit 408 euros) pour 6 mois, lorsque le statut du GCPS (Grade Chronic Pain Scale) passe de faible à fort (c’est-à-dire lorsque le patient devient un patient douloureux chronique) [7]. Fricton, en 2016, affirme que la douleur chronique, toute discipline confondue, coûterait annuellement 500 milliards de dollars par an aux États-Unis [1, 8] et on peut penser qu’il en est de même probablement en Europe. Pour Gaskin, en 2012, le coût de la douleur est même « supérieur aux coûts annuels des maladies cardiaques, du cancer ou du diabète » [1, 5]. Tentons un calcul trivial. Même si la prévalence n’est que de 5 %, et que seulement 10 % d’entre eux sont susceptibles de développer un DTM chronique, cela représente, pour 446 millions d’habitants de l’Union Européenne, environ 2,3 millions de patients, soit un coût annuel de 909 millions d’euros, uniquement pour les douleurs oro-faciales chroniques !

Nous verrons dans le prochain post si certaines comorbidités sont fréquemment associées aux DTM. Les publications les plus récentes mettent en évidence le concept de vulnérabilité individuelle incluant de nombreux facteurs : anatomiques, génétiques et psycho-sociaux [9].
1. De Leeuw R, Klasser G. Orofacial pain: guidelines for assessment, diagnosis, and management, Ed 6. Quintessence, 2018:327 p.
2. Johannes CB et coll. The prevalence of chronic pain in United States adults: results of an Internet-based survey. J Pain 2010;11(11):1230-9.
3. Mohlin BO et coll. Malocclusion and temporomandibular disorder: a comparison of adolescents with moderate to severe dysfunction with those without signs and symptoms of temporomandibular disorder and their further development to 30 years of age. The Angle Orthodontist 2004;74(3):319-27.
4. Loeser JD, Bonica JJ. Bonica’s management of pain, 3rd Edition. Lippincott Williams and Wilkins, 2000:2208 p.
5. Gaskin DJ, Richard P. The economic costs of pain in the United States. J Pain 2012;13(8):715-24.
6. Lipton J, Ship J, Larach-Robinson D. Estimated prevalence and distribution of reported orofacial pain in the United States. J Am Dent Assoc 1993;124(10):115-21.
7. Durham J et coll. Healthcare cost and impact of persistent orofacial pain: the DEEP study cohort. J Dent Res 2016;95(10):1147-54.
8. Fricton J. Myofascial pain: mechanisms to management. Oral Maxillofac Surg Clin North Am 2016;28(3):289-311.
9. Greene CS, Manfredini D. Transitioning to chronic TMD pain: a combination of patient vulnerabilities and iatrogenesis. J Oral Rehabil 2021 [Online ahead of print].