Poser le diagnostic de luxation discale irréductible #7
Cas clinique n°2
Mademoiselle Léa F. 14 ans est adressée conjointement par son praticien traitant et l’orthodontiste qui vient de débuter le traitement ODF. Une malposition de 12 est à l’origine de la demande de traitement.
La patiente présente des craquements articulaires non douloureux, à droite, depuis plus d’un an (ils dataient d’avant les extractions sous AG de 16,34 et 24 demandées pour les besoins du traitement ODF), mais ceux ci s’aggravent et gênent le traitement ODF. L’orthodontiste en appelle au praticien traitant pour évaluer le problème de l’ATM. Celui ci met en place une orthèse occlusale, et, à partir de cette date le craquement devient douloureux.
Quelques 6 mois plus tard la jeune patiente est vue à notre consultation. Lors ce cette rencontre la patiente nous dit que les craquements articulaires ont cessé depuis 1 mois et qu’un blocage articulaire douloureux est apparu, 48h après que les molaires maxillaires aient été baguées.
Le diagramme de Farrar montre une amplitude d’ouverture de 28mm et des latéralités réduites. La palpation des ATMs confirme le blocage du condyle droit dans une position postérieure. Sa palpation est douloureuse. Nous posons l’hypothèse diagnostique de LDI à droite ; situation qui remonte vraisemblablement au moment de la disparition des craquements qui pré-existaient. Tous les éléments d’anamnèse et cliniques vont dans le sens de ce diagnostic, même s’il est légitime d’imaginer une composante musculaire à la situation.
La patiente n’est pas particulièrement laxe, ne ronge pas ses ongles et ne décrit pas d’habitude posturale ou de parafonction qui pourrait avoir des répercussions négatives sur les ATMs.
L’OIM s’établit en provocant une déflexion mandibulaire latérale vers la droite, l’incisive latérale maxillaire droite s’inscrivant alors en occlusion inversée.
La mandibule est décontractée et une manipulation simple permet de mettre en évidence une ORC avec bout à bout entre la 12 et la 43.
Il existe un décalage latéral de 2 à 3mm de la mandibule vers la droite entre ORC et OIM, jusqu’à un appui sur 13.
Le passage de la position d’ORC à celle d’OIM objective le déplacement mandibulaire sous contrainte musculaire qui fait glisser la face vestibulaire de la 12 contre la face linguale de la 43 : la mandibule dérape vers l’avant et vers la droite.
Ce décalage très important s’observe bien entre 13 et 44 sur les images prises en ORC et en OIM. Il n’est pas difficile d’imaginer (et de palper) à quel point ce décalage aboutit à une contrainte sur l’ATM droite.
L’observation de l’orthèse en bouche nous montre que le praticien a mis en place une gouttière indentée dans une position qui n’est ni l’OIM ni l’ORC.
A partir de ces observations nous partons de l’hypothèse diagnostique que l’occlusion est impliquée dans la chaîne causale de la LDI à droite (et peut être de contractures). En conséquence, nous souhaitons intervenir sur l’occlusion de la patiente. Bien entendu par des moyens transitoires pour valider ou invalider notre hypothèse diagnostique.
Nous décidons de modifier en urgence l’orthèse du praticien pour lui attribuer deux fonctions :
- Permettre un centrage articulaire (en ORC). Ce point doit être discuté tant il est vrai qu’il peut paraître provocateur ou erroné de parler d’ORC quand la situation articulaire est désorganisée à ce point. Je précise donc ma façon de procéder, sachant que je vise à stabiliser la mandibule grâce à l’orthèse occlusale. La patiente est détendue et se laisse manipuler facilement. Cette manipulation qui ne provoque aucune douleur vise à évaluer le jeu articulaire entre la position de repos et l’apparition du premier contact occlusal. Nous avons maintes fois décrit cette manipulation. Dans le cas présent nous savons que les pièces articulaires ne sont pas correctement alignées ; il n’est donc plus possible, au sens précis du terme « relation centrée », de dire que nous mettons la mandibule en relation centrée. Mais comment nommer cette position mandibulaire ? Peu importe en réalité car ce que nous cherchons c’est une position mandibulaire qui ne soit pas décentrée par l’OIM en denture naturelle. Alors, si cette position mandibulaire n’est pas décentrée et si elle s’accompagne d’une détente musculaire et d’une absence de contrainte articulaire, pourquoi ne pas la dire « en relation centrée » ? Disons en situation relativement centrée par rapport à la situation mandibulaire pathologique. Nous allons donc régler l’orthèse pour qu’elle permettent un appui simultané de toutes les cuspides supports antagonistes, et en particulier des volumes qui rétablissent le calage canin bilatéral ; C’est l’occlusion qui va fixer les limites de la position articulaire.
- Etablir un obstacle postérieur en regard de la dernière molaire droite. Comme on le cherche avec une butée postérieure nous allons établir une surépaisseur au niveau de la dernière dent de l’arcade, de telle sorte que cet obstacle, sous l’action des muscles élévateurs, aboutisse à une bascule, dans le plan frontal, de la mandibule. Si l’obstacle est bien placé et qu’il n’est pas trop haut, il laisse la possibilité à la mandibule de se caler petit à petit sur la plus grande partie de l’orthèse. Les appuis canins sont préparés pour que l’apparition d’un calage canin bilatéral apparaisse dès que possible avec la bascule mandibulaire. Ces volumes de résine sont testés sous contraction musculaire maximale.
La patiente décrit, dès la fin des réglages de l’orthèse, une sédation des douleurs. Nous profitons de ce ressenti positif pour lui dire qu’elle devra porter l’orthèse jour et nuit jusqu’à notre prochain rendez vous (5 jours plus tard) à l’exception des repas pour lesquels nous demandons une stricte mastication à droite et le recours, autant que possible, à des aliments mous. Nous attendons de cette orthèse un soulagement tant musculaire qu’articulaire.
Revue dans les semaines suivantes, la patiente confirme l’amélioration clinique obtenue : disparition des douleurs, ouverture de bouche 38mm (+10mm). Une certaine bascule mandibulaire dans le plan frontal s’est effectivement produite car nous trouvons des points de contacts occlusaux sur la gouttière du coté gauche alors que nous l’avions réglée avec un seul contact sur la butée postérieure droite.
La patiente nous dit avoir conservé l’orthèse y compris pour manger car elle redoute de retrouver les douleurs et le blocage à droite. Cependant, la jeune patiente ne décrit pas un retour ad integrum de la situation articulaire droite. Elle perçoit quelque chose de non parfaitement fonctionnel en intra-articulaire, qu’elle ne sait pas décrire. Mais en tout cas la situation n’est pas revenue exactement comme à l’époque des claquements. La palpation perçoit un déplacement condylien mais incomplet. Faute d’image IRM nous restons prudent sur le diagnostic même si tout laisse à penser que cette patiente a eu une luxation discale irréductible. Si tel n’est pas le cas il faudrait interpréter l’augmentation de l’amplitude d’ouverture buccale et la sédation des douleurs comme un gain musculaire. Le déficit articulaire restant en attente de résolution ou définitif.
Bien sûr la prudence est légitime quant à l’interprétation de ce cas pour lequel des images IRM auraient certainement apporté des informations complémentaires (mais non décisives à mon avis).
Il n’en reste pas moins vrai que ce cas illustre parfaitement l’idée que je me fais de l’occlusodontologie : elle n’est pas l’ensemble des connaissances et techniques qui sont exploitées pour équilibrer les contacts dento-dentaires ; non, c’est l’ensemble des connaissances et techniques utilisables en bouche pour maintenir ou rétablir l’équilibre fonctionnel de l’appareil manducateur.
Le praticien ODF a communiqué les moulages de la jeune patiente et la téléradio de profil que je joins à ce post. Qu’il en soit remercié.
- Pensez-vous que la luxation discale puisse être déclenchée par des crispations musculaires, de type myospasme, liées à l’occlusion ?
- Réalisez-vous des orthèses à vocation mixte musculaire et articulaire ?
Comments
à la première question, je dirais oui, on voit de tout sur cette bonne terre, à la question deux je dirais : bien entendu.
ceic dit dans ce cas, l’évolution dentaire n’est pas finie et la croissance articulaire non plus ( 14 ans) tous les espoirs sont permis
en tout cas bravo pour la prise en charge
merci de ce commentaire chaleureux….
Magistral!!
Que du bon sens et que du bonheur de n’être pas seul à prêcher dans le désert !!
… et de celui ci aussi. Ils me vont droit au coeur car je vous sais cliniciens et préoccupés par le soulagement de vos patients.
Comme c’est souvent le cas dans le cas de latérognathie mandibulaire due ( dans votre cas) à l’inversé de la 12 qui a provoqué un latéroglissement qui s’est fixé en latérognathie, on observe des luxations soit réductibles, soit irréductibles comme dans votre cas.
Moi qui suis ODF je règle ce genre de problème ( après alignement des arcades) à l’aide d’un hyperpropulseur de ma composition. ( Cf article sur la revue de la SBR) qui permet de resymétriser la mandibule en réduisant les luxations.
pourrait-on avoir un lien (ou lieux un pdf) de cet article dans votre prochain commentaire? Merci
Message pour M. FANCOIS UNGER : AU SECOURS
Bonjour, je suis un particulier de 40 ans qui vit à Nancy dans le 54 et qui souffre depuis 11 ans de douleurs dans la face gauche (machoire, oreille, œil, muscles intra buccaux. On m’a diagnostiqué une luxation. J’ai eu un traitement orthodontique de 2010 à 2014 mais sans succès. J’ai porté (encore maintenant) plusieurs gouttières également mais résultat minime. Je vis un enfer, car la douleur est permanente. Personne ne solutionne mes douleurs. J’ai vu sur ce site votre vidéo Butée postérieure en urgence et j’ai essayé de faire une cale avec du coton pour mettre en place sur la molaire de droite (je ne savais pas de quel coté là mettre). AU MIRACLE, cela soulage mes douleurs. J’ai donc contacté ce matin votre cabinet à Tours pour fixer un RDV mais j’ai appris que vous étiez en retraite et que votre fils a repris le cabinet. J’ai expliqué ma situation à la secrétaire et le caractère urgent et elle doit me recontacter.
M. UNGER, je fais appel à votre bienveillance et vous prie d’accepter de bien vouloir me voir dans le cabinet de votre fils. J’ai laissé mes coordonnés à la secrétaire. N’hésitez pas à me contacter si besoin. Je suis prêt à faire le déplacement de 500 kms quand vous voulez.
Je sais que la démarche est atypique mais votre expérience dans ce domaine me permet de croire en une solution. C’est la raison pour laquelle je souhaite absolument avoir votre avis personnel.
A toute personne qui lit ce message, merci de prévenir M UNGER François s’il vous plaît.
Cordialement,
Christophe RUSSO
christophe.russo54@yahoo.fr
Cher Monsieur Russo,
je suis sensible à la confiance que vous me témoignez mais je tiens cependant à vous faire part de 3 points qui expliquent ma position:
1- ce site est dédié aux professionnels pour qu’ils mettent en commun leurs expériences. Il ne peut être question de le transformer en outil de prise de rendez vous en ligne pour les patients qui pensent reconnaître leur situation.
2- Je suis effectivement retraité et, quelque soit l’envie que je puisse avoir de soulager tel ou tel patient, je n’ai plus le droit d’exercer (je ne suis plus inscrit au conseil de l’ordre)
3- Je ne doute pas que vous trouverez à Nancy ou dans votre région, en cabinet privé ou au centre de soins du CHU, des personnes capables de vous soulager.
Ceci étant précisé je tiens à vous dire que je compatis à votre situation et que je vous souhaite de trouver au plus vite un (e) collègue qui vous soulagera.
Bien cordialement
François Unger