Poser le diagnostic de luxation discale irréductible #6
Luxation discale irréductible : Cas clinique n°1
Mademoiselle Morgane R. 17 ans est adressée par son chirurgien dentiste qu’elle a consulté pour un blocage de la mâchoire intervenu lors du petit déjeuner ; en mastiquant.
La jeune patiente est vue à notre consultation 3 semaines après l’accident articulaire de l’ATM gauche. Les douleurs sont permanentes, augmentées par la mastication et les mouvements mandibulaires.
Avant le blocage articulaire existaient des craquements de l’ATM gauche.
La patiente perçoit des contacts prématurés sur les molaires à gauche.
Le diagnostic est donc simple : luxation discale irréductible gauche consécutive à un faux mouvement lors de la mastication.
La patiente n’a pas eu de traitement ODF, ni extraction de dents de sagesse.
Elle se dit de nature stressée et présente une onychophagie très importante.
Ses dents sont saines et l’on note la persistance de la canine lactéale mandibulaire gauche.
Par ailleurs il existe une asymétrie discrète de la face avec un recul et un effacement de l’hémiface gauche. L’amplitude de l’ouverture buccale est de 27mm et les latéralités de 7mm vers la droite et 9mm vers la gauche ; tous ces mouvements sont douloureux.
Le tableau clinique est plutôt favorable à la prise en charge orthopédique de la LDI : en effet, la jeunesse de la patiente, sa laxité, sa compréhension de l’importance de cesser l’onychophagie et la relative proximité temporelle de l’accident articulaire, sont des facteurs qui permettent d’espérer débloquer les pièces articulaires pour retrouver la situation préalable de luxation discale réductible (LDR).
Cette situation de LDR, si elle n’est pas idéale, permettait à la patiente de manger sans difficulté. De plus cette LDR, dans le cadre de l’évolution normale d’une réduction de la laxité avec l’augmentation de l’âge, et grâce à l’arrêt demandé de l’onychophagie, a de fortes chances de se stabiliser et de pas constituer un handicap pour la patiente.
Nous décidons de réaliser en urgence une butée occlusale postérieure pour limiter la compression sur la zone bilaminaire étirée et essayer de faciliter le retour du disque vers la place qu’il occupait à l’époque des craquements articulaires.
La butée postérieure respecte des critères précis :
- Elle est interposée entre les dernières dents de l’arcade, du coté de la LDI. Elle constitue un obstacle occlusal qui, lors du serrage, abaisse le condyle homolatéral.
- Elle est rebasée pour une adaptation très rétentive, détourée pour ne pas gêner les tissus mous. Elle est ensuite scellée avec un ciment de scellement type polycarboxylate pour ne pas pouvoir être enlevée par les mouvements mandibulaires ou lors de la faible mastication qui pourra être faite pendant qu’elle sera portée.
- La face occlusale de la butée est indentée par le contact de la cuspide antagoniste pendant que la résine fait sa prise sur la dent support (qui peut être celle du haut ou celle du bas selon les conditions cliniques).
- La position de cette indentation (initialement profonde de 1 à 3 mm selon les situations) est obtenue par le maintien par le praticien de la mandibule dans une position détendue, proche de la position de repos, à peine refermée. Cette position ne doit absolument pas être douloureuse ni contraindre l’articulation.
- Après polymérisation et rebasage, la profondeur de l’indentation est ajustée pour qu’elle réponde à 2 critères : permettre un repositionnement simple et spontané de l’arcade antagoniste ; et créer une inocclusion complète de toutes les autres dents
- Avant d’être scellée, la butée est testée par le patient à qui l’on demande de fermer la mâchoire sur la butée et d’y serrer de toutes ses forces. La manœuvre doit se solder par un silence clinique total.
- La butée est imposée quelques jours (de 2 à 8 jours) en fonction de la situation clinique. Les patients sont invités à prévenir le cabinet en cas de réapparition des claquements articulaires pour limiter si possible cette période inconfortable.



La patiente est revue 3 jours plus tard. Le claquement réciproque est réapparu, les douleurs sont fortement réduites et l’amplitude d’ouverture buccale de l’ordre de 35mm, permettant une prise d’empreinte. La situation est donc celle d’une LDR.
Une gouttière occlusale mandibulaire est réalisée et mise en place le lendemain. La gouttière est modifiée en bouche par adjonction d’une butée postérieure gauche de façon à maintenir l’effet orthopédique obtenu. Faute de ce calage sur la dernière dent il est vraisemblable que cet effet serrait rapidement perdu.
La position mandibulaire pour réaliser cette butée est obtenue par manipulation douce, de la même façon qu’on avait marqué l’indentation sur la butée postérieure. Après polymérisation il est contrôlé que le serrage maximal ne provoque aucune douleur et ne permette aucun contact sur la gouttière autre que celui sur la butée. L’ouverture buccale est contrôlée. Elle est de 40mm, sans douleur, avec craquement vers 20mm. Les mouvements de latéralité sont de 10mm, sans douleur, mais provoquent l’un et l’autre un craquement à gauche.
La patiente est invitée à porte sa gouttière nuit et jour dans la première semaine, et également lors des repas si elle perçoit une instabilité de la situation articulaire récupérée.
Des explications et des moyens simples sont proposés pour aider la patiente à stopper son onychophagie. Il faut d’ailleurs noter que le défaut de contacts occlusaux facilite cette prise en charge.

Pendant plusieurs semaines la patiente est revue et les points de contacts (hors ceux sur la butée postérieure) qui réapparaissent sur l’orthèse lors du serrage, sont éliminés. Ces points sont de plus en plus nombreux au fil des équilibrations de l’orthèse. Dans le même temps il est proposé à la patiente de ne conserver que le port nocturne de l’orthèse, d’autant plus que l’onychophagie est maîtrisée.
L’équilibration de l’orthèse aboutit finalement à une sorte de bascule dans le plan frontal de la mandibule. Cette position est matérialisée par le rétablissement de points de contacts sur toute la gouttière. Elle est alors laissée en place pendant 2 à 3 mois en port nocturne.
Dans le cas présenté ici, relativement favorable, l’onychophagie ayant cessé et la patiente ayant bien compris l’intérêt de limiter les mouvements mandibulaires d’ouverture extrême, la gouttière a été retirée après 4 mois. La situation de LDR était stable, non douloureuse, et l’ensemble des fonctions manducatrices possibles sans difficultés. La patiente n’a pas été revue mais sa situation rapportée par des proches plusieurs années plus tard laissait à penser que tout était stable. D’ailleurs le correspondant qui nous avait adressé la patiente ne nous a jamais fait part de récidive.
- Voyez-vous des difficultés techniques pour la réalisation de cette butée postérieure ?
- Pensez-vous que la détermination de la position mandibulaire soit difficile ?
Comments
Bonsoir Monsieur Unger,
Merci pour vos posts dont j’ai grand plaisir à lire. Je me sens petit à petit, au fur et à mesure de leur lecture de moins en moins incompétent.
1/ Malgré tous les soins que vous avez pris pour rédiger ce post, plusieurs questions me viennent à l’esprit concernant la butée sur l’orthèse mandibulaire :
o Quelle est la dimension de l’inocclusion, par rapport à l’orthèse, des dents non concernées par la butée : 1 mm, 2 mm, 3 mm, … ?
o Cette inocclusion est-elle à peu près identique pour toutes les dents non concernées par la butée ?
o A quel moment décide t-on de faire porter l’orthèse uniquement la nuit ? Dès la deuxième semaine, pour éviter les égressions ?
o A quelle fréquence doit-on voir les patients pour éliminer les nouveaux points de contact qui sont apparus ? Chaque semaine ?
o L’orthèse devient t-elle au fur et à mesure une sorte d’orthèse de relaxation musculaire. C’est-à-dire avec des guidages canins, des contacts généralisés au niveau des cuspides d’appuis et une surface lisse, sauf au niveau de la butée ?
2/ La manipulation de la mandibule pour déterminer la position mandibulaire détendue en RC est-elle plus difficile chez un patient présentant une LDI en comparaison à un patient ne présentant pas de DAM ?
3/ Pour ce cas clinique présenté, la patiente présentait t-elle un décalage entre l’ORC et l’OIM qui aurait peut-être pu aussi favoriser cette LDI ?
Désolé pour ces nombreuses questions ! Merci d’avance pour les réponses.
Je suis heureux que mon expérience puisse vous apporter des informations et contribuer à aider vos patients.
– la dimension de l’inocclusion est variable en fonction de le forme des courbes d’occlusion, de la laxité des patients, et de l’espace libre. Ce qui compte c’est qu’il y ait inocclusion même quand le patient serre très fort. Disons que si l’inocclusion, lors du serrage, est de l’ordre du mm c’est très bien. Mais encore une fois les choses varient en fonction des dents observées.
– Je ne redoute pas vraiment les égressions et je suis bien incapable de dire si dans les cas présentés il y a ou non égression. On peut conseiller de limiter le port de l’orthèse à la période nocturne quand le patient est en mesure de contrôler le mieux possible les facteurs qui ont conduit à la luxation. C’est donc variable en fonction des patients et il vaut mieux garder l’orthèse un mois de trop plutôt que 24h de moins.
– Oui avec les réglages successifs l’orthèse se rapproche de la forme et des contacts qui caractérisent les orthèses de relaxation.
– la manipulation du patient répond exactement aux mêmes principes que le patient soit ou non en LDI: aucun effort de guidage, détendre…vois les posts écrits à ce sujet.
J’ai oublié de vous demander s’il vous plaît.
Que pensez-vous de la manœuvre de Farrar pour tenter de recapturer le disque lors d’une LDI ? L’avez-vous pratiquée ? Merci.
j’ai pratiqué autrefois la manoeuvre de Farrar et je dois dire que ça marche souvent. Le problème est que si on ne peut pas caler la mandibule dans la position de récupération, le travail est vite perdu. Alors j’ai préféré commencer par faire la cale qui me permet de tenir la position thérapeutique avant de manipuler. Et puis je me suis aperçu que la cale seule pouvait fonctionner, sans manipuler. Alors c’est ce que j’ai fait.