Pathologies dégénératives des articulations temporo-mandibulaires : savoir les identifier pour mieux les prendre en charge #9
Nous proposons une nouvelle série de posts, avec présentation de nombreux cas cliniques entrant dans la classification des dysfonctionnements temporo-mandibulaires ou pouvant constituer des diagnostics différentiels.
Les troubles dégénératifs des articulations temporo-mandibulaires (ATM) représentent une catégorie spécifique au sein de la classification globale des dysfonctionnements temporo-mandibulaires (DTM) établie par Schiffman et coll. en 2014 [1]. Bien que le diagnostic puisse être délicat face à des signes cliniques peu spécifiques (tels que les douleurs oro-faciales, les spasmes musculaires, les céphalées de tension ou encore les limitations d’ouverture buccale), les phénomènes arthrosiques et arthritiques de l’ATM présentent des manifestations radiologiques caractéristiques que le chirurgien-dentiste omnipraticien doit être en mesure d’identifier [2, 3].
Rapports de cas en radiologie maxillo-faciale
Quatre types majeurs de pathologies dégénératives peuvent être identifiés radiologiquement au niveau des ATM [4] :
– l’ostéo-arthrite ;
– l’ostéonécrose ;
– la chondromatose synoviale ;
– la résorption condylienne idiopathique.
Ostéo-arthrite
Une ostéo-arthrite est une affection dégénérative de l’articulation caractérisée par une détérioration du tissu articulaire et un remodelage concomitant de l’os sous-chondral sous-jacent. Larheim et coll. ont résumé les principaux signes radiographiques tels que les ostéophytes, la résorption de la surface articulaire, les géodes sous-chondrales ou le remodelage condylien : ces phénomènes dégénératifs sont fréquemment associés radiologiquement au rétrécissement de l’espace articulaire (fig. 1) [5].
Figure 1. Ostéo-arthrite du condyle mandibulaire. a : ostéophyte. b : résorption de la surface articulaire. c : géode sous-chondrale. d : remodelage condylaire. e : rétrécissement de l’espace articulaire.

Ostéonécrose du condyle mandibulaire
Cette pathologie entraîne une perte de continuité de la corticale et une résorption condylienne sévère faisant apparaître un aspect « mité ». La lésion peut également s’étendre, de façon plus rare, jusqu’au tubercule articulaire du temporal (fig. 2).
Figure 2. Ostéonécrose du condyle mandibulaire. a : résorption condylienne sévère. b : résorption du tuberculaire articulaire du temporal.

Chondromatose synoviale
Elle peut être observée de façon radiologique : on notera la présence de plusieurs éléments radio-claires indiquant la présence de corps calcifiés [6]. Bien qu’il puisse s’agir d’une entité à part entière, l’ostéochondrite disséquante est fréquemment associée, sur un plan nosologique, à la chondromatose synoviale (fig. 3) [7].
Figure 3. Chondromatose synoviale de l’ATM. a : corps calcifiés typiques de la chondromatose synoviale. b : ostéochondrite disséquante.

Résorption condylienne idiopathique
Elle constitue une entité nosologique spécifique affectant l’ATM. Elle reste un diagnostic d’élimination. Elle est définie comme un changement progressif et significatif de la taille et de la forme du condyle sans qu’aucune cause ne soit clairement identifiée. Certains auteurs ont suggéré des causes hormonales (sexe féminin), des antécédents traumatiques ou de chirurgies orthognathiques (0,8 % des cas) [8] ; à un stade avancé, chez l’adulte, elle peut entraîner une asymétrie marquée de la taille des deux condyles sur un orthopantomogramme (fig. 4) [9].
Figure 4. Résorption condylienne idiopathique (processus condylien gauche). a : comparaison de deux condyles chez le même patient adulte (évolution graduelle). b : superposition des branches ascendantes mandibulaires (téléradiographie de profil).

Discussion
Selon la revue systématique de Pantoja et coll., une lésion dégénérative peut être secondaire à un état inflammatoire survenu dans les contextes de maladies rhumatismales, comme l’arthrite juvénile idiopathique, la polyarthrite rhumatoïde, le syndrome de Marfan, la spondylarthrite ankylosante, la spondyloarthropathie et d’autres maladies des tissus conjonctifs [10].
Des facteurs favorisant le remodelage osseux ont pu être identifiés et décrits dans la littérature scientifique. Par exemple, l’augmentation de la charge dans l’ATM a été corrélée à une synthèse accrue des matrices extracellulaires, survenue comme réponse biologique aux exigences fonctionnelles afin de garantir l’homéostasie de l’ATM, de la fonction et de la relation occlusale [11]. D’autres facteurs de risque sont directement corrélés aux capacités d’adaptation de l’hôte : Arnett et coll. ont conclu que des changements dégénératifs se sont produits lorsque les capacités d’adaptation articulaires normales ont été dépassées avec un stress physique excessif à l’ATM, ou lors d’un traumatisme de faible intensité mais produit sur une longue période ou répété [12, 13]. On peut citer d’autres co-facteurs associés au remodelage condylien comme l’âge (le poids moléculaire de l’acide hyaluronique diminue avec le vieillissement, entraînant la perte des propriétés biologiques du disque et du liquide synovial) ou encore l’état général du patient (maladies auto-immunes, troubles endocriniens, maladies métaboliques et infectieuses) [14-17].
Les traitements des pathologies dégénératives de l’ATM peuvent être divisés en trois catégories : les soins non invasifs, les soins peu invasifs et les soins chirurgicaux. Les critères de décision reposent notamment sur la réponse du patient aux modalités non invasives, à la perception de la douleur, à l’importance des troubles de la cinématique mandibulaire et à la qualité de vie du patient [18] :
– les traitements non invasifs : approche médicamenteuse, orthèse occlusale, kinésithérapie maxillo-faciale et conseils comportementaux constituent les principaux traitements non invasifs [19-21]. Ils seront à privilégier en première intention.
– les traitements peu invasifs : injections, arthrocentèse et arthroscopie peuvent constituer une solution efficace en deuxième intention, à discuter de façon multidisciplinaire avec un chirurgien maxillo-facial et en accord avec le patient [22].
– traitements invasifs : des interventions chirurgicales (à l’heure actuelle, très peu fréquentes) peuvent être pratiquées dans les cas graves et avancés, en cas d’échec des thérapeutiques non/peu invasives et après appréciation indispensable du ratio bénéfices/risques [23].
Conclusion et perspectives
Les traitements habituels privilégieront les traitements non invasifs aux soins chirurgicaux. L’approche préventive devra constituer, dans les années à venir, une nécessité médicale par une meilleure prise en compte de l’alimentation des patients. Par ailleurs, les traitements d’avenir basés sur l’ingénierie tissulaire, constituent des domaines de recherche récents et prometteurs mais des étapes majeures doivent encore être franchies pour démontrer l’efficacité in vivo à long terme de ces nouvelles pistes thérapeutiques [23, 24].
1. Schiffman E et coll., International RDC/TMD Consortium Network, International Association for Dental Research, Orofacial Pain Special Interest Group, International Association for the Study of Pain. Diagnostic criteria for temporomandibular disorders (DC/TMD) for clinical and research applications: recommendations of the International RDC/TMD Consortium Network and Orofacial Pain Special Interest Group. J Oral Facial Pain Headache 2014;28(1):6-27.
2. Zarb GA, Carlsson CE. Temporomandibular disorders: osteoarthritis. J Orofac Pain 1999;13(4):295-306.
3. Wilkes CH. Internal derangements of the temporomandibular joint. Pathological variations. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 1989;115(4):469-77.
4. Kaimal S et coll. Diagnostic accuracy of panoramic radiography and MRI for detecting signs of TMJ degenerative joint disease. Gen Dent 2018;66(4):34-40.
5. Larheim TA et coll. Temporomandibular joint diagnostics using CBCT. Dentomaxillofac Radiol 2015;44(1):20140235.
6. Koyama J et coll. Synovial chondromatosis in the temporomandibular joint complicated by displacement and calcification of the articular disk: report of two cases. Am J Neuroradiology 2001;22(6):1203-6.
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