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Le syndrome d’Eagle : un diagnostic trop souvent méconnu #10

Le syndrome d’Eagle correspond à une calcification de la partie haute du ligament stylo-hyoïdien (qui se traduit par un allongement du processus styloïde). Il peut être à l’origine de douleurs oro-faciales (préférentiellement au niveau du cou, de l’oreille ou de l’articulation temporo-mandibulaire) pouvant évoquer, au premier abord, un désordre temporo-mandibulaire (DTM) [1]. Le diagnostic de ce syndrome peut parfois être retardé, d’autant plus qu’il existe de multiples tableaux cliniques, et qu’il est relativement peu fréquent et méconnu.

Formes cliniques

Deux formes de syndrome d’Eagle sont principalement décrites [2] :

  • le syndrome stylo-hyoïdien se caractérise par des dysphagies majorées lors de la déglutition, des difficultés lors de la rotation de la tête, des douleurs irradiantes au niveau du cou, de l’oreille ou de la face (douleurs liées à la compression et/ou l’irritation des nerfs crâniens V, VII, IX, X), et parfois une sensation de corps étranger dans la gorge est décrite par les patients ;
  • le syndrome stylo-carotidien : le processus styloïde exerce une compression sur l’artère carotide interne entraînant des douleurs pharyngées, oculaires et des céphalées pariétales.

Diagnostic radiographique

L’orthopantomogramme (panoramique dentaire) permet de mettre en évidence des calcifications en arrière des branches montantes (parfois découvertes de façon fortuite) (fig. 1). L’imagerie 3D (CBCT) permet de confirmer le diagnostic, de visualiser les structures anatomiques adjacentes et d’évaluer la longueur, la direction et l’angulation du processus (fig.2) ; elle permet également de déterminer l’abord chirurgical dans le cas où cette option thérapeutique serait envisagée [3, 4].

Diagnostic différentiel

Il existe de nombreux diagnostics différentiels : DTM, tumeurs des voies aéro-digestives, amygdalites chroniques, pathologies de l’oreille interne, de l’os hyoïde, des glandes salivaires, etc. [5]. Il convient de rester prudent quant à l’imputabilité de douleurs ou gènes décrites par le patient ; il est aussi nécessaire d’envisager que l’une de ces pathologies soit concomitantes d’un processus styloïde allongé et que ce dernier ne soit pas nécessairement la cause des symptômes.

Étiopathogénie

Les causes exactes de ce syndrome sont encore mal comprises (absence d’un véritable consensus scientifique). Plusieurs hypothèses ont été formulées [5-7] :

  • théorie de l’hyperplasie réactionnelle : à la suite d’un traumatisme dans la zone du pharynx, le processus styloïde se trouverait stimulé et une ossification pourrait alors se produire ;
  • théorie de la métaplasie réactionnelle : à la suite d’un choc externe, le ligament subirait une métaplasie (ossification partielle) ;
  • théorie de la variabilité anatomique ;
  • autres hypothèses suggérées (ossification de résidus embryologiques, dysfonctions endocriniennes liées à la ménopause, troubles du métabolisme phosphocalcique).

Quelle(s) solution(s) thérapeutique(s) ?

La prise en charge doit respecter le gradient thérapeutique, et des méthodes non invasives seront proposées dans un premier temps [6, 8] :

  • approche pharmacologique : l’administration d’anti-inflammatoires non-stéroïdiens, d’antalgiques ou de myorelaxants par voie orale peut être envisagée en première intention (en cas de composante inflammatoire et/ou de tensions musculaires périphériques). En deuxième intention, l’injection de corticoïdes ou d’anesthésiques peut être envisagée (au niveau de la portion inférieure de la fosse tonsillaire ou dans la zone de la petite corne de l’os hyoïde) [9] ;
  • approche chirurgicale : dans une revue systématique de 2019, Lisan et coll. indiquent que le taux de guérison pour les patients traités non chirurgicalement est de 64,3 % alors que celui pour les patients ayant subi une ablation du processus styloïde est de 91,8 % [6]. L’approche chirurgicale d’exérèse du processus styloïde peut se faire par plusieurs abords (méthodes intra-orale, extra-orale ou cervicale) [10, 11] ; le patient devra alors être adressé vers un chirurgien maxillo-facial.

Conclusion

D’un point de vue de la littérature scientifique, le syndrome d’Eagle est considéré comme une pathologie relativement rare. Néanmoins, cette pathologie semble sous-diagnostiquée et souvent confondue avec un DTM (bien que ces deux pathologies puissent être concomitantes chez un même individu, notamment en cas de lésions dégénératives de l’ATM). Certains signes et symptômes doivent donc alerter le praticien (antécédents de traumatismes, dysphagies, douleurs et/ou gènes oro-pharyngées) ; en cas de doute, le chirurgien-dentiste devra envisager la poursuite d’investigations notamment par la prescription d’une imagerie adaptée [12].

  • Avez-vous été confrontés à ce syndrome ?
  • Comment avez-vous géré la prise en charge ?
Bibliographie

1. Eagle WW. Elongated styloid process: report of two cases. Archives of Otolaryngology 1937;25:584-6.

2. Fusco DJ, Asteraki S, Spetzler RF. Eagle’s syndrome: embryology, anatomy, and clinical management. Acta Neurochir (Wien) 2012;154(7):1119-26.

3. Nayak DR et coll. Role of three-dimensional computed tomography reconstruction in the management of elongated styloid process: a preliminary study. J Laryngol Otol 2007;121(4):349-53.

4. Langlais RP, Miles DA, Van Dis ML. Elongated and mineralized stylohyoid ligament complex: a proposed classification and report of a case of Eagle’s syndrome. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1986;61(5):527-32.

5. Piagkou M et coll. Eagle’s syndrome: a review of the literature. Clin Anat 2009;22(5):545-58.

6. Lisan Q et coll. Management of stylohyoid syndrome: a systematic review following PRISMA guidelines. Eur Ann Otorhinolaryngol Head Neck Dis 2019;136(4):281-7.

7. Steinmann EP. Styloid syndrome in the absence of an elongated process. Acta Otolaryngol 1968;66(4):347-56.

8. Steinmann EP. A new light on the pathogenesis of the styloid syndrome. Arch Otolaryngol 1970;91(2):171-4.

9. Taheri A, Firouzi-Marani S, Khoshbin M. Nonsurgical treatment of stylohyoid (Eagle) syndrome: a case report. J Korean Assoc Oral Maxillofac Surg 2014;40(5):246-9.

10. Souza Carvalho (de) ACG et coll. Intraoral approach for surgical treatment of Eagle syndrome. Br J Oral Maxillofac Surg 2009;47(2):153-4.

11. Dao A et coll. Eagle syndrome presenting with external carotid artery pseudoaneurysm. Emerg Radiol 2011;18(3):263-5.

12. Badhey A et coll. Eagle syndrome: a comprehensive review. Clin Neurol Neurosurg 2017;159:34-8.

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