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Le projet OPPERA #4

  1. Introduction aux dysfonctionnements temporo-mandibulaires (DTM) #1
  2. Quel coût économique et social des DTM ? #2
  3. DTM et comorbidités : un modèle multifactoriel et multi-échelle #3
  4. Le projet OPPERA #4
  5. Classification des dysfonctionnements temporo-mandibulaires #5
  6. Existe-t-il une classification commune et admise des DTM ? #6

Le projet OPPERA (Orofacial Pain: Prospective Evaluation and Risk Assessment) a pour objectif de mettre en évidence les facteurs de risque qui interviennent dans l’apparition et le développement d’un dysfonctionnement temporo-mandibulaire douloureux [1]. Il s’agit probablement de la plus ambitieuse étude concernant les DTM amorcée à ce jour, ce qui lui vaut bien à ce titre qu’un ou plusieurs posts d’IdWeblogs lui soient intégralement consacrés.

Imaginez donc ! Quatre sites d’études, plus de 3 000 patients sans DTM, tous suivis longitudinalement pendant plusieurs années, avec des évaluations respectant les méthodologies les plus strictes et les standards les plus hauts : génotypage, phénotypage ; évaluations biologiques, psychosociales, cliniques : appréciations de l’état de santé et du sommeil. Cette vaste étude est caractérisée, sur le plan méthodologique, par une standardisation des opérateurs, la présence de statisticiens dédiés, et un financement assuré de plusieurs millions de dollars.

Dworkin et LeResche ont proposé, en 1992, d’évaluer les DTM selon deux axes, au sein d’un examen standardisé appelé DC-TMD (Diagnostic Criteria for Temporo-Mandibular Disorders) [2] ; une mise à jour a été proposée en 2014 par Shiffmann et coll. [3]. L’axe 1 correspond à une évaluation somatique, et l’axe 2 à une évaluation psychosociale (effectuée à travers des scores et des questionnaires). En 2016, Slade et coll. résument les principales conclusions du projet OPPERA [4], celles-ci discutées en 2018, au sein de l’ouvrage de De Leeuw et Klasser, Orofacial pain: guidelines for assessment, diagnosis, and management [1]. Nous en résumons, ci-après, les principales conclusions dans un cadre de vulgarisation scientifique.

Étude
Étude

Première conclusion

L’axe psychosocial est plus prédictif de l’incidence des DTM que l’axe somatique

En synthèse de cette problématique, Slade et coll. précisent que, pendant le suivi [4] :

  • 19 % par an des patients ont décrit des symptômes de douleurs oro-faciales (incluant les odontalgies) ;
  • 4 % des participants par an ont développé un DTM cliniquement vérifié. Ce taux est qualifié par Slade et coll. « d’iceberg symptomatique » car la plupart des DTM sont peu rapportés ;
  • à notre grande surprise, les facteurs de prédiction les plus forts des DTM n’étaient PAS les examens cliniques des opérateurs mais étaient de simples questionnaires de contrôle des conditions de santé générales (évaluant par ailleurs les comorbidités et les symptômes oro-faciaux non douloureux) ;
  • les autoévaluations des parafonctions de la mâchoire étaient des prédicteurs nettement plus forts que les évaluations des examinateurs ;
  • le facteur prédictif issu de l’axe 2 (évaluation psychosociale) le plus fort était le questionnaire de fréquence des symptômes somatiques.

Deuxième conclusion

Les seuils de détection de la douleur

Il est essentiel de réaliser des palpations musculaires et articulaires et des tests de provocation à la douleur par la pression (1 kg sur les muscles temporaux, masséters ; 500 g sur les muscles ptérygoïdiens latéraux, ATM ; tests éventuellement sur des sites crâniens). Rappelons que l’étude OPPERA est en cours depuis plus de 15 ans et que l’apparition des nouveaux DTM (incidence) a été évaluée. Il a été montré que les tests de palpation et de provocation à la douleur n’étaient pas prédictifs d’une future apparition de DTM, mais lorsque les DTM sont installés, les tests sont positifs (ce qui peut sembler à première vue peu intuitif). Pour résoudre ce problème, une étude supplémentaire transversale a été réalisée (étude cas-témoins imbriquée à OPPERA) : les patients facilement algiques ne sont pas forcément à risque de développer des DTM, mais une fois installés, ils sont très à risque de les entretenir.

Troisième conclusion

Sommeil et DTM

Depuis longtemps, les patients nous rapportent que leur sommeil est altéré, et de nombreux auteurs ont longtemps cru que la douleur initiait une altération du sommeil. L’étude cas-témoins imbriquée à OPPERA montre que le phénomène est exactement l’inverse : la détérioration de la qualité du sommeil précède l’arrivée des DTM et non l’inverse ! C’est le résultat majeur de cette étude, de notre point de vue.

Quatrième conclusion

Génétique et DTM

Trois cents gènes ont été étudiés : 6 polymorphismes mononucléotidiques (SNP) ont été associés à des facteurs de risque de DTM chroniques (existence d’une voie dite « sérotoninergique »), tandis que 6 autres SNP étaient associés à des phénotypes intermédiaires de TMD [4]. Le gène COMT serait impliqué dans le développement de la perception de la douleur. Il existe une vulnérabilité positive à l’action de certaines molécules pharmacologiques en fonction de son statut génétique [5], comme le montrent Slade et coll. en 2021 avec le propranolol (β-bloquant non sélectif) et le gêne COMT [6]. Cette compréhension ouvre la voie à de nouveaux protocoles de prise en charge, évaluant d’abord le génotype et phénotype, pour cibler la meilleure prise en charge pharmacologique possible.

CONCLUSION

OPPERA a permis de tirer de multiples leçons, dont certaines ne sont pas présentées ici, d’autres en cours de vérification et/ou toujours à l’étude. Elle a permis de vérifier que certains facteurs de risque étaient impliqués dans les TMD et en a réfuté d’autres, réorientant ainsi notre réflexion.

Pour en savoir plus
Une nouvelle unité de recherche universitaire française, appelée EvolSan et créée le 1er janvier 2021, aborde la santé orale par une approche interdisciplinaire en regroupant des chercheurs fondamentaux (INSERM et CNRS), des universitaires (socio-anthropologues) et des cliniciens (chirurgiens-dentistes, kinésithérapeutes, ergothérapeutes). Cette nouvelle unité a pour thème l’évolution et la santé orale et s’intéresse aux thématiques suivantes : médecine évolutive, approche multimodale et hybride des traitements des DTM, analyse des pratiques et médecine personnalisée.
BIBLIOGRAPHIE

1. De Leeuw R, Klasser G. Orofacial pain: guidelines for assessment, diagnosis, and management, Ed 6. Quintessence, 2018:327p.

2. Dworkin SF, LeResche L. Research diagnostic criteria for temporomandibular disorders: review, criteria, examinations and specifications, critique. J Craniomandib Disord 1992;6(4):301-55.

3. Schiffman E et coll. ; International RDC/TMD Consortium Network ; International Association for Dental Research ; Orofacial Pain Special Interest Group ; International Association for the Study of Pain. Diagnostic criteria for temporomandibular disorders (DC/TMD) for clinical and research applications: recommendations of the International RDC/TMD Consortium Network and Orofacial Pain Special Interest Group. J Oral Facial Pain Headache 2014;28(1):6-27.

4. Slade GD et coll. Painful temporomandibular disorder: decade of discovery from OPPERA studies. J Dent Res 2016;95(10):1084-92.

5. Greene CS, Manfredini D. Transitioning to chronic TMD pain: a combination of patient vulnerabilities and iatrogenesis. J Oral Rehabil 2021 [Online ahead of print].

6. Slade GD et coll. COMT genotype and efficacy of propranolol for TMD pain: a randomized trial. J Dent Res 2021;100(2):163-70.

Pour en apprendre plus sur ces sujets, les auteurs sont également formateurs dans les instituts de formation continue suivant :

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