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Que faire pour ce jeune patient ? #3

  1. Que faire pour ce jeune patient ? #1
  2. Que faire pour ce jeune patient ? #2
  3. Que faire pour ce jeune patient ? #3

Le patient est revu 15 jours plus tard. Les craquements sont toujours présents mais il n’y a pas eu de blocage.

Fig. 2 : OIM réelle obtenue par serrage sur l’ensemble des dents. (vue de face)
Fig. 2 : OIM réelle obtenue par serrage sur l’ensemble des dents. (vue de face)
  1. Quelle attitude thérapeutique peut-on retenir pour le patient ?
  2. Quel pronostic peut-on lui annoncer en fonction de l’attitude thérapeutique retenue ?

Comments

Christian PAULUS

Bonjour à tous,
A mon avis dans ce cas prévaut :,PRIMUM NON NOCERE.
Je. Ommencerais par chercher une dysfonction et je proposerais une rééducation.

jeromeproust

Sur l’image en OIM plusieurs choses sautent aux yeux ; il y a une asymétrie entre les deux cotés avec un recouvrement plus important à gauche qui signifie que la pente de glissement en latéralité gauche est plus prononcée qu’à droite. Cette situation se traduit généralement par une fonction unilatéral du coté ou l’angle de sortie est le moins prononcé. On observe aussi une nette abrasion de la 12 en distal laissant penser qu’une fonction unilatérale à droite s’est mise en place… nous n’avons pas d’image en latéralité mais je fais le pari que c’est ce qui se passe… Ce cas pose une question : quel est l’objectif de notre intervention ? Est-ce de redonner au patient une fonction occlusale équilibrée ou juste de mettre en place un traitement symptomatique ? Si on considère que l’occlusion est une fonction notre mission n’est elle pas de la réhabiliter ? N’est-ce pas un minimum ? Equilibrer son occlusion en ORC, vérifier si ses canines sont en contact et symétriser au moins les latéralités pour permettre un mouvement mandibulaire fonctionnel. L’inhibition d’un mouvement en latéralité et la recherche du bout à bout prouvent que son mouvement mandibulaire n’est pas« fonctionnel ».
Si la correction des postures nocives et parafonctions donnent un résultat alors on en reste là, considérant que la cause du dysfonctionnement à été rectifiée.
Si ce n’est pas le cas il me semble que réhabiliter une occlusion permettant une fonction occlusale équilibrée est un préalable minimum avant d’envisager tout autre thérapeutique. Même si à priori on ne peut pas être certain que les craquements disparaitront. Mais au moins la cinématique mandibulaire aura été améliorée, chose non négligeable pour l’avenir chez un jeune patient. Dans quel état sera son parondonte dans quelques années à force d’être en bout à bout? Le rétablissement d’une fonction c’est aussi la préservation de l’avenir. Cela pose une question importante à mes yeux sur ce que doit être notre travail… doit-on se contenter d’un traitement symptomatique ? Oui dans le cas où « s’abstenir c’est servir la prévention » (Occlusodontologie ; A Jeanmonod) La mise en place d’une orthèse temporaire qui permettrait une atténuation de la symptomatologie peut se concevoir en prévenant le patient que les mêmes causes pourront produire les même effets à l’avenir puisqu’on a constaté que son mouvement mandibulaire ne se faisait pas comme il devrait et que rien n’aura été modifié.
J’avoue ne pas comprendre la réticence de principe à ne pas faire de corrections. Pour des raisons de paro, d’orthodontie, d’esthétique, de prophylaxie, de prothèse… on n’hésite pas à toucher aux dents, alors pourquoi on hésite pour améliorer une fonction? Est-ce moins noble que tout le reste? Est-ce par méconnaissance ? Que penserait-on d’un podologue qui une fois le patient soulagé retirerai sa semelle en le laissant avec son déséquilibre ?…

François UNGER

Merci pour ces deux commentaires de vrais cliniciens, que je propose de compléter en donnant la suite de ce cas. Oui PRIMUM NON NOCERE et donc mon attitude a été de m’en tenir aux conseils comportementaux d’arrêt du chewing gum et de modification de la position de sommeil. Et j’ai dit à mon patient que je ne ferai rien d’autre tant que ces points n’auront pas été satisfaits.
Je n’ai jamais revu le patient: modification des habitudes nocives réalisées et disparition de la pathologie? Négligence? refus de modifier les habitudes? Je ne le saurai jamais.

Mais les observations de jeromeproust et son interrogation sont à prendre en compte. Sa vision d’une intervention occlusale (peut être mineure mais chez un jeune avec des dents saines) peut s’entendre. Et surtout la question sous jacente du pronostic si rien n’est fait: aggravation ou adaptation?
Personnellement je ne sais pas répondre à cette question pour ce cas. C’est pourquoi j’ai privilégié l’intransigeance sur la modification comportementale. Je ne sais pas si j’ai eu raison et si jeromeproust n’aurait pas offert un meilleur avenir à ce patient.
La clinique, dans de nombreux cas d’occluso est un exercice complexe, multifactoriel et hautement évolutif, dont il est difficile de prédire l’évolution la plus probable. C’est la sagesse d’Hippocrate qui doit encore prévaloir je crois.

thgi

« Par ailleurs, son habitude de placer sa mandibule en bout à bout, nous a interpellé : la position mandibulaire prise spontanément par le patient pourrait-elle être liée aux difficultés articulaires ? Soit en contribuant à ces difficultés, soit en permettant de stabiliser la mandibule dans une position qui « protégerait » des difficultés ATMs ? » (François UNGER)

Je me permets de faire remarquer la pertinence de cet argument de François Unger. Parce qu’il me parait que ce style d’observation toute finaude de nos patients peut suggérer, orienter et guider souvent vers une direction thérapeutique.
Par exemple, la contrainte que constitue une rétroposition mandibulaire (ici très probable sur ce cas de… figure) pour le système musculo capsulo ligamentaire, fait que celui-ci va se soulager et compenser ces tensions en se relâchant dès que possible, en l’occurrence par une avancée mandibulaire adaptative et compensatrice en désocclusion.
On observe d’ailleurs souvent une seconde occlusion en bout à bout incisif très bien marquée et inscrite dans la structure des faces occlusales incisives, au point qu’il est difficile de ne pas appréhender ces deux occlusions comme conjuguées, et y voir un lien de cause à effet ou d’effet à cause.
Comme si le sujet avait besoin de se recaler ailleurs pour soutenir un équilibre instable. Il y a toujours une réalité adaptative à l’œuvre.
En ce cas, l’impératif occlusal en OIM est en conflit avec l’équilibre des jeux musculaires. La lecture d’une téléradiographie de profil (au moins aussi précise qu’une analyse selon Jean Delaire) confirmerait très vraisemblablement un diagnostic de rétrognathie mandibulaire. Mais il est tellement mieux, et bien d’avantage clinique, de le lire ainsi, sur le patient bien vivant, dans les habitudes qu’il a (sans le savoir lui-même évidemment) d’utiliser sa face, sa bouche, d’animer ses muscles, d’activer ses fonctions diverses. C’est, quand on lui demande rien, là où il n’y pense pas, et là quand il n’y pense pas, que le sujet est le plus signifiant, et se révèle (sans le savoir lui-même)…
A nous de l’y surprendre, en tant que praticien… c’est autant utile que « parlant », pour orienter une réponse thérapeutique.
L’observation de Jérôme Proust, lequel épingle d’emblée l’asymétrie positionnelle, relève à l’évidence d’une lecture très Planassienne de l’affaire, qui me parait aller dans le bon sens, tant ici, tout donne envie de déverrouiller pareille situation, ne serait ce qu’avec une orthèse (au maxillaire) type Jeanmonod, avec un plan rétroincisif, lequel réoriente immédiatement un plan d’occlusion d’une part sagittalement mieux conjugué alors avec le plan de Camper, et d’autre part frontalement et qui se recentrera alors spontanément, rendant ainsi l’ensemble du système d’emblée plus physiologique.
D’où l’indication plus adaptée, à mon sens, d’une orthèse supérieure plutôt qu’inférieure. Car le point d’appui qui manque ici à la biomécanique du système est rétroincisif supérieur. Il vaut donc mieux rajouter de la résine en haut que en bas…
Tout ça pour dire que en général, la supraclusie, est signature d’un plan d’occlusion sagittal qui fout le camp, car mal orienté, et d’une arcade mandibulaire qui lentement mais sûrement vient s’enrouler sous et dans le maxillaire au point de s’y immobiliser, sidérant ainsi sa cinématique.
En libérant et redonnant ainsi du pouvoir aux muscles, via le plan rétroincisif, la mandibule se pose et se repose d’elle-même vers une situation généralement plus apaisée.
Si tant est que l’amélioration des symptômes se précise, alors on peut, éventuellement (car rien ne presse jamais, et qu’il en va aussi de l’implication du patient à se risquer un peu, ou pas…) poursuivre en installant du recalage, par la prothèse ou des composites collés, ou plus heureusement encore avec l’orthopédie dento faciale façon Planas. Celle-ci n’est finalement rien d’autre qu’un jeu de deux orthèses actives, qui, en laissant toujours les faces occlusales libres (à la différence de trop d’orthèses et gouttières) permet que peu à peu, se relance un process où se réinstalle une dentition plus adaptée, sous guidage des fameuses « pistes de rodage» actives dans les trois sens de l’espace.
A mon humble avis.
Thierry Gibergues

François UNGER

Merci à thgi de ces explications fort convaincantes. Je ne souhaite pas trop entrer dans la discussion de la gestion à partir d’une amélioration obtenue par le plan de morsure rétro-incisif…car, avec des « si » on mettrait Paris en bouteille. Le patient n’est pas revenu donc toutes les hypothèses deviennent sinon légitimes, au moins dignes d’intérêt; surtout de la part d’observateurs prudents et expérimentés.

jeromeproust

Merci d’avoir présenté ce cas qui au-delà de son dénouement montre qu’il n’y a pas de « petits cas ». J’ai vu de tels cas dont toutes les dents avaient été « enduis » de composites pour « remonter la DV », pour « décomprimer » les ATM… désastre à tous les étages. Savoir agir avec mesure est une attitude parfois plus grande qu’étaler une technicité inutile… il me revient en mémoire cette jeune fille d’à peine 18 ans qui s’était présentée dans le service avec un dossier médical de plusieurs centimètres, souffrant depuis des années et chez qui on avait même évoqué l’hypothèse d’un problème tumoral… après quelques minutes d’examen Jeanmonod évoque une posture nocive de sommeil. Lui avait vu, réfléchi et déduit. C’était simple, presque indécent au regard de l’épaisseur du dossier mais cette hypothèse n’avait jamais été évoquée. … la semaine suivante ses douleurs avaient disparues… ce jour-là j’ai compris ce que le mot clinicien voulait dire.
J’attends le prochain cas avec impatience !

Jean-Daniel ORTHLIEB

je retiendrai brièvement deux choses soulignées dans ces échanges concrets :
– dents saines, malocclusion naturelle, laxité = prudence thérapeutique. Avant d’indiquer une correction orthodontique il faut avoir de très solides raisons (au pluriel), une très bonne technique et savoir exactement où on veut aller.
– importance de l’examen clinique : il semble à être affiner par une description du « craquement » plus détaillée pour différentier une DDR partielle (finalement banale et peu gênante, classique) d’une DDR totale plus invalidante ou d’un claquement de subluxation.
Aux conseils comportementaux (sommeil, chewing gum) j’aurais ajouter la gymnothérapie pour lubrifier l’articulation et favoriser la métaplasie discale. Le déverrouillage de la dysfonction antérieure par meulage est à simuler sur articulateur avec attention, ce n’est pas simple de mon point de vue.
merci pour cette intéressante discussion
Jean-Daniel

François UNGER

Merci Jean Daniel pour cet éclairage complémentaire et utile qui ne peut qu’emporter l’adhésion de tous.
Pour être plus précis sur le désordre intra-articulaire, je peux préciser que la luxation discale était le plus souvent sous forme de DDR partielle, mais qu’elle aboutissait régulièrement sous la forme de DDR totale avec blocage. Je pense que des contraintes liées à la position de sommeil ou au chewing gum devaient « déclencher » le passage à la DDR totale.
En fait il y a beaucoup de cas comme celui ci où les éléments qu’on peut mettre en cause dans la dysfonction sont nombreux et variables. Pour moi c’est un cas difficile compte tenu que la prudence thérapeutique, comme tu le soulignes, est la règle de base ici.

Jean-François CARLIER

Question candide:
comment expliquer au patient qu’il faut arrêter le chewing gum ,cad mastiquer dans le vide et lui demander de faire des exercices de gymnothérapie en plusieurs séances par jour pour lubrifier son articulation?

Jean-Daniel ORTHLIEB

Salut Jef
tu connais la réponse, mais tu me pousses à mieux expliquer la gymnothérapie; alors je développe.
– mâchonnement de chewing-gum = compression et distension ATM
– le principe de la « gymnothérapie » (terme emprunté à Daniel Rozencweig cf livre ADAM) consiste au contraire à réaliser des mouvements doux, progressifs, quotidiens, sans pressions (= sans appui occlusal). Le choix de mouvements uniquement de diduction, la bouche à peine entrouverte, réside justement dans l’absence de pression, l’alternance droite-gauche du jeu musculaire, une bonne quantité de translation condylienne assurant un large brassage synovial. On vise lubrification, métaplasie articulaire, drainage musculaire. Tout le contraire du mâchonnement. Je ne suis pas favorable aux exercices en propulsion, pas favorable aux appuis sur des dispositifs quelconque, encore moins aux ouvertures forcées. Existe-t’il des preuves « scientifiques » (j’anticipe la question de François) : non, pas au niveau mandibulaire; mais oui au niveau des articulations en général. Pour les muscles et les articulations, l’ennemi c’est la STASE, le mouvement c’est la VIE.

François UNGER

Merci Jean Daniel de ces précisions fort utiles et importantes.

En fait je ne suis pas un fana de preuves « scientifiques » puisque je sais qu’elles n’existent pas dans notre discipline. Je le regrette c’est vrai. Ce qui me hérisse le poil ce sont ceux qui prétendent se prévaloir de telles preuves.

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