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Existe-t-il une classification commune et admise des DTM ? #8

Le DC-TMD, un exemple de collaboration scientifique internationale

Le développement des connaissances scientifiques sur les douleurs oro-faciales conduit à intégrer les dysfonctions temporo-mandibulaires (DTM) dans un cadre plus global, notamment au sein de classifications médicales plus élargies traitant de la douleur et/ou des troubles musculo-squelettiques. Le diagnostic peut devenir, de ce fait, plus complexe au fur et à mesure que le champ des connaissances s’élargit et, inversement, il devient important de simplifier le système diagnostique (tout en maintenant un niveau d’exigence suffisamment élevé).

Grâce au rapprochement des meilleurs chercheurs dans le domaine, et l’analyse croisée des recherches internationales sur les DTM, le DC-TMD (Diagnostic Criteria for Temporomandibular Disorders) naît en 2014 : cette date constitue une étape décisive pour le diagnostic et la prise en charge des DTM. Nous avons pensé, à travers les posts précédents, que l’histoire de sa naissance méritait d’être racontée, car elle est l’expression d’un processus scientifique long, rigoureux et collaboratif qui intéressera même les non-spécialistes, désireux de comprendre comment la science médicale avance et se construit (approche épistémologique).

Le DC-TMD (2014) : vers un système plus simple et plus efficace

Le contexte scientifique ? En 2014, les RDC-TMD proposent des critères standardisés mais un nombre limité de DTM [1]. L’AAOP (American Academy of Oro-Facial Pain) a déjà publié plusieurs versions de ses recommandations (1990, 1993, 1996, 2008, 2013), sur un groupe élargi de DTM mais finalement non ou peu standardisés : il y a donc un intérêt à regrouper l’ensemble de ces approches [2].

Les objectifs ? Ils sont multiples : réviser les algorithmes de diagnostic basé sur des preuves, produire un système diagnostique orienté sur plusieurs axes (notamment somatique et psychosocial), et proposer une sorte de « cartographie » de l’ensemble des dysfonctions temporo-mandibulaires (tout en incluant des critères de diagnostic pour chacun d’eux) [1, 2].

Le groupe de travail ? Suite à une invitation du Consortium International RDC/TMD (IADR) et du Groupe d’Intérêt Spécial Douleur Orofaciale (IASP), un groupe d’experts est constitué, regroupant 34 chercheurs issus de 12 pays et de 11 organisations scientifiques : De Leeuw (USA), Goulet (Canada), Lobbezoo (Pays-Bas), Peck (Australie), Petersson (Suède), Schiffman (États-Unis), etc., pour n’en citer que quelques-uns.

Résultats ? Après analyses et multiples discussions, 37 DTM sont retenus au sein d’une classification principale : troubles de l’articulation temporo-mandibulaire (n = 23), troubles musculaires masticateurs (n = 12), céphalées (n = 1), structures associées (n = 1). La classification inclut aussi des DTM peu fréquents (par exemple, les adhérences, l’ankylose, la résorption condylienne idiopathique, la chondromatose synoviale [3], etc. (tableau).

Fig. 1 – Axe somatique (axe I) et axe psycho-émotionnel (axe II) des DTM, d’après Schiffman et coll., 2014 [1, 4].

Certaines dysfonctions ont donné lieu à des discussions approfondies, notamment l’arthrite, certaines douleurs musculaires ou encore les maladies dégénératives des articulations [2] : on pourrait s’interroger sur la présence, dans la classification, des dyskinésies et des dystonies oro-mandibulaires (se manifestant par des mouvements mandibulaires involontaires) qui peuvent être considérées comme des facteurs étiologiques possibles ou des signes cliniques, plutôt que comme des affections à part entière. Inversement, les bruxismes n’ont pas été considérés comme des DTM (mais plutôt comme des facteurs étiologiques possibles) [1, 2].

Sensibilité et spécificité des critères diagnostiques

L’originalité de ce travail est également d’établir des hauts niveaux de « sensibilité » et de « spécificité » pour les DTM les plus fréquents, à condition que le protocole d’examen soit, à l’évidence, correctement suivi.

Exemple d’une myalgie (douleur musculaire) localisée au niveau du muscle temporal droit (fig. 1)
L’entretien doit vérifier les conditions suivantes :
1. douleur dans la mâchoire, la tempe, l’oreille ou en avant de l’oreille, et
2. …douleur modifiée par les mouvements de la mâchoire.

L’examen clinique doit vérifier les conditions suivantes :
a. confirmation de la localisation et
b. …confirmation d’une « douleur habituelle ou familière » :
b1. lors de la palpation des muscles masticateurs, ou
b2. lors du mouvement d’ouverture buccale maximale (assisté ou non).

Pour cette myalgie localisée, et si le protocole est rigoureux, les données de la littérature retrouvent une « Sensibilité = 0,90 » et une « Spécificité = 0,99 » [2].

Fig. 2 – Morphographie de la douleur par simulation informatique (Meditrinae) [5].

Cette classification concerne essentiellement l’axe 1 (somatique), mais l’évaluation psychosociale (l’axe 2) doit être absolument menée parallèlement (voir post précédent) car elle renseigne, d’une part le pronostic, mais elle oriente aussi, d’autre part, les cliniciens dans la détermination, en présence du patient, des stratégies thérapeutiques qui vont être déployées dans le cadre d’une prise en charge personnalisée et participative (patient = principal acteur de sa guérison). Les évaluations psycho-émotionnelles et psycho-comportementales pourront être établies, par exemple, à l’aide de questionnaires (scores). Les questionnaires proposés ont fait l’objet d’une validation scientifique internationale (la traduction en français a été validée afin d’être disponible pour les cliniciens francophones depuis 2018) : l’anxiété (GAD7), la dépression (PHQ 4, 9 ou 15), la douleur chronique (GCPS), la limitation fonctionnelle (JLFS 20), les habitudes orales (OBC). Il sera intéressant d’inclure, dans les prochaines années, des questionnaires d’ordre occupationnel en impliquant les ergothérapeutes dans la prise en charge des patients douloureux chroniques oro-faciaux (par exemple le questionnaire AMPS : Assessment of Motor and Process Skills).

Perspectives

Le DC-TMD est orienté majoritairement vers un seul axe (le diagnostic somatique) : pour une évaluation complète et une prise en compte des aspects psychosociaux du trouble, l’axe II est indispensable. Par ailleurs, la validation future de biomarqueurs objectifs disponibles (approche génétique, marqueurs salivaires et plasmatiques, microbiote oral) améliorera certainement le diagnostic physique au-delà de l’interprétation actuelle des seuls signes et symptômes [3].

À travers les posts précédents, nous avons souligné que les DTM constituent des entités poly-étiologiques, complexes, non linéaires, intégrant de multiples données (biologiques, cliniques, psychométriques, ergométriques, socio-culturelles, etc.). Une question se pose alors : comment allons-nous gérer toutes ces données tant sur le plan de la recherche que sur le plan de la prise en charge ? L’utilisation de l’intelligence artificielle peut apporter à terme des éléments significatifs de réponses, afin de :
– permettre une meilleure analyse du grand nombre de données disponibles ;
– fournir une aide logistique pour la pose de diagnostics (biomédical et psycho-social) ;
– proposer des options thérapeutiques en fonction des différents phénotypes (« profils-patients ») ;
– corriger les biais cognitifs des praticiens dans la réflexion et la planification thérapeutique ;
– améliorer le suivi de chaque patient au sein d’une démarche personnalisée [5].

Après l’influence de l’approche bio-psycho-sociale d’Engel au sein de la démarche médicale (et, en ce qui nous concerne, de la compréhension et de la prise en charge des patients souffrants de DTM) [6, 7], nous sommes à présent à un tournant culturel important de notre société : comment allons-nous prendre en charge nos proches et nos patients à l’heure des nouvelles technologies (et tout particulièrement des technologies NBIC) [8, 9] ? La médecine orale et la réhabilitation maxillo-faciale connaît un bouleversement majeur des pratiques professionnelles avec une évolution profondément biotechnologique, qui ne doit pas écarter les soignants des aspirations psycho-sociales du soin [10, 11]. La médecine 4P (prédictive, préventive, personnalisée, participative) risque de modifier l’approche actuelle que nous avons des dysfonctions temporo-mandibulaires et de bouleverser le champ disciplinaire de la rééducation fonctionnelle de l’appareil manducateur, grâce tout particulièrement à l’intelligence hybride et aux interfaces hommes-machines (intelligence artificielle, réalité augmentée, big data). À nous de savoir nous projeter, avec sagesse et conviction [4, 9].

Bibliographie

1. Schiffman E et coll ; International RDC/TMD Consortium Network ; International Association for Dental Research ; Orofacial Pain Special Interest Group ; International Association for the Study of Pain. Diagnostic criteria for temporomandibular disorders (DC/TMD) for clinical and research applications: recommendations of the International RDC/TMD Consortium Network and Orofacial Pain Special Interest Group. J Oral Facial Pain Headache 2014;28(1):6-27.

2. De Leeuw R, Klasser G. Orofacial pain: guidelines for assessment, diagnosis, and management. Ed. 6. Quintessence, 2018. 327 p.

3. Destruhaut F, Dubuc A, Bos A, Fabié L, Pomar P, Combadazou JC, Hennequin A, Laurencin S. Diagnosis of synovial chondromatosis of temporomandibular joint: case report and literature review. Healthcare 2021;9(5):601.

4. Hennequin A, Tenenbaum B, Caire JM, Bergia JM, Diemer F, Destruhaut F. Hypnothérapie et gestion des douleurs oro-faciales dans le cadre des désordres temporo-mandibulaires. Cahiers de prothèse 2020;189:330-8.

5. Destruhaut F, Pomar P, Letellier T, Hennequin A. Intelligence artificielle, médecine 4P et rééducation fonctionnelle de l’appareil manducateur : perspectives. Cahiers de prothèse 2020;189:403-13.

6. Engel GL. The clinical application of the biopsychosocial model. Am J Psychiatry 1980;137(5):535-44.

7. Dworkin SF, LeResche L. Research diagnostic criteria for temporomandibular disorders: review, criteria, examinations and specifications, critique. J Craniomandib Disord 1992;6(4):301-55.

8. Jacob L, Armand S, Brun JP, Destruhaut F, Gruson D. L’intelligence artificielle et l’influence du numériques en médecine et en odontologie. Information Dentaire 2020;102(4):15-17.

9. Destruhaut F. La chirurgie dentaire face à la révolution transhumaniste. Séance événement présidée par le Pr Serge Armand : L’intelligence artificielle et l’influence du numérique en médecine et en odontologie. Congrès ADF, Paris, 28 novembre 2019.

10. Destruhaut F, Naveau A, Dubuc A, Pomar P, Rignon-Bret C. Evolution of facial prosthetics: conceptual history and biotechnological perspectives. Int J Maxillofac Prosthetics 2021;4:2-8.

11. Naveau A, Smirani R, Remy M, Pomar P, Destruhaut F. Cybergology and bioprinting: The biotechnological future of maxillofacial rehabilitation. Int J Maxillofac Prosthetics 2019;1:20-26.

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