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Existe-t-il une classification commune et admise des DTM ? #7

Le RDC-TMD : une approche rigoureuse des DTM et une ouverture à l’inclusion des conditions psycho-sociales : l’émergence du modèle bio-psycho-social

Le post précédent a montré que l’évolution de la terminologie de notre discipline est liée aux processus d’élaboration des connaissances scientifiques, et reflète la complexité de la compréhension des DTM et des douleurs oro-faciales.

La révolution des RDC/TMD (1992) : des critères standardisés et une approche psycho-sociale

En 1992, Truelove et coll. proposent un système original de classification au sujet des dysfonctions temporo-mandibulaires : cette nouvelle publication offre la possibilité de mieux guider les praticiens au sein d’une démarche diagnostique et thérapeutique [1]. Conformément à une rigueur scientifique de plus en plus probante en occlusodontie, il devient alors primordial, à cette époque-là, de définir des critères diagnostiques fiables et valides (tant somatiques que psycho-sociaux), d’identifier des facteurs étiologiques et de risque aux DTM, d’autoriser des pronostics, et d’établir l’efficacité d’un traitement [2]. La même année, paraît l’un des articles les plus cités et appréciés de l’histoire des DTM, celui de Dworkin et LeResche [3] : à l’heure de ce post (juin 2021), soit presque 30 ans plus tard, le nombre de références PubMed renvoyant à cette publication depuis sa parution en 1992, est de 631 citations ce qui est considérable si on compare avec les 19 947 résultats totalisants l’intégralité de la recherche « TMD » (fig. 1) ! Même s’il faut (toutes sciences confondues) au moins 10 000 citations pour entrer dans le top 100 des articles scientifiques les plus cités au monde, il faut considérer le faible développement de notre discipline ; et peu d’auteurs en odontologie, voire en médecine, peuvent se prévaloir d’une citation tous les 20 articles dans leur domaine de compétence !

Cet article a une double particularité : il développe d’une part les fameux « critères diagnostics de recherche » ou RDC-TMD (Research Diagnostic Criteria for Temporo-Mandibular Disorders), pour huit sous-groupes de TMD ; d’autre part, un double diagnostic est ainsi établi tenant compte des conditions physiques du patient (axe I) et des conditions psychologiques du patient (qui contribuent à la souffrance et au handicap du patient) (axe 2). À travers ce double diagnostic, transparaît le modèle bio-psycho-social (décrit une dizaine d’années auparavant par le psychiatre Engel), mais à présent appliqué au diagnostic des dysfonctions temporo-mandibulaires (fig. 2) [4].

L’axe psycho-social

Hammond distingue quatre composantes à la douleur : sensori-discriminative, cognitive, affective-émotionnelle et comportementale [5]. Au niveau oro-facial, le soignant, pour mieux comprendre le patient algique, doit adopter deux niveaux de lecture, à travers la face et le visage du souffrant, renvoyant respectivement aux considérations biologiques et psycho-sociales, appréhendés comme les deux faces d’une même pièce [6]. Face à un patient douloureux chronique, il est important d’une part de poser un diagnostic tant sur un plan somatique (axe I) que sur un plan psycho-social (axe II), et de déterminer, d’autre part, une démarche thérapeutique personnalisée incluant une prise en charge psycho-émotionnelle et/ou psycho-comportementale (éducation thérapeutique, relaxation, sophrologie, hypnose médicale, psychothérapie, etc.).

La mise en avant de l’axe 2 rappelle combien l‘interface physiologie/psychologie est importante dans les DTM. Les douleurs oro-faciales construisent, dans l’esprit du souffrant, une nouvelle représentation faciale, développée par la douleur, et modelée par la souffrance : il en résulte une nouvelle construction de l’image de soi, façonnée par l’expérience de la douleur, vécue en parallèle, au plus profond de soi, comme une souffrance intérieure dont l’origine prend source au sein du cerveau limbique (encore appelé « cerveau émotionnel ») [6]. Dworkin et LeResche rappelle que de nombreux facteurs psychologiques contribuent à l’expérience de la douleur du patient [3] : le stress, l’anxiété et la dépression (manifestations psychiques regroupées sous l’acronyme SAD), sont relativement fréquents parmi les patients douloureux chroniques et peuvent rendre la douleur persistante plus difficile à tolérer ou à gérer.

Les facteurs cognitifs négatifs, tels que les pensées ou attitudes contre-productives peuvent rendre la maladie plus difficile à résoudre et inversement. Certaines études ont montré que les patients qui avaient des idées positives avaient moins de douleurs le mois suivant, et ceux qui avaient des idées négatives avaient plus de douleurs le mois suivant [2, 5]. Les facteurs psychosociaux sont donc parfois plus pertinents que les facteurs somatiques dans le pronostic ! Cette approche ouvre une voie nouvelle dans la gestion des DTM.

Les patients souffrant de DTM peuvent connaître une errance thérapeutique de plusieurs mois à plusieurs années avant de trouver des praticiens ou une équipe médicale pouvant les prendre en charge : suite à de nombreux avis, diagnostics et propositions de traitements, confusions ou incompréhensions règnent chez certains patients, ce qui peut accroître l’anxiété et par voie de conséquence, la douleur. Sur un plan clinique, il est donc essentiel, dès les premières consultations, de mener une évaluation précise de l’axe 2 : il s’agira d’utiliser différents questionnaires portant sur les habitudes orales, la qualité de vie et sa dégradation, et de réaliser des évaluations psychologiques, émotionnelles, du stress, de l’anxiété et de la dépression [7]. Il est par ailleurs nécessaire d’expliquer au patient sa pathologie, de le rassurer, et d’établir une stratégie thérapeutique multimodale, réversible, peu invasive incluant différentes modalités : il est indispensable, quand les facteurs psychologiques sont importants dans le tableau clinique du patient, d’établir une collaboration avec d’autres professionnels de santé (sophrologue, ergothérapeute, psychothérapeute, psychiatre), afin de permettre une prise en charge globale et individualisée.

Points essentiels

  • Des critères standardisés ont été proposés pour la première fois en 1992, avec la publication de Dworkin et Le Resch.
  • Le système diagnostic RDC-TMD sera utilisé pendant 25 ans environ.
  • Les facteurs psychosociaux sont parfois plus pertinents que les facteurs somatiques dans le pronostic.
  • Il existe désormais un « système diagnostic » commun et accepté qui fait largement consensus au sein de la communauté scientifique internationale. Le DC-TMD proposé en 2014 par Schiffman, Peck et de très nombreux collaborateurs à travers le monde [7] sera présenté dans le prochain et dernier post de notre série consacrée à la classification intitulé « Le DC-TMD, un exemple de collaboration scientifique internationale ».
Bibliographie

1. Truelove EL et coll. Clinical diagnostic criteria for TMD new classification permits multiple diagnoses. J Am Dent Assoc 1992;123(4):47-54.

2. De Leeuw R, Klasser G. Orofacial pain: guidelines for assessment, diagnosis, and management. Ed. 6. Quintessence, 2018, 327 p.

3. Dworkin SF, LeResche L. Research diagnostic criteria for temporomandibular disorders: review, criteria, examinations and specifications, critique. J Craniomandib Disord 1992;6(4):301-55.

4. Engel GL. The clinical application of the biopsychosocial model. Am J Psychiatry 1980;137(5):535-44.

5. Hammond C. Les différentes composantes de la douleur. Institut National de Recherche pédagogique, U29 Inserm, 2001.

6. Hennequin A, Tenenbaum B, Caire JM, Bergia JM, Diemer F, Destruhaut F. Hypnothérapie et gestion des douleurs oro-faciales dans le cadre des désordres temporo-mandibulaires. Cahiers de prothèse 2020;189:330-8.

7. Schiffman E et coll. ; International RDC/TMD Consortium Network ; International Association for Dental Research ; Orofacial Pain Special Interest Group ; International Association for the Study of Pain. Diagnostic criteria for temporomandibular disorders (DC/TMD) for clinical and research applications: recommendations of the International RDC/TMD Consortium Network and Orofacial Pain Special Interest Group. J Oral Facial Pain Headache 2014;28(1):6-27.

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