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Un carcinome épidermoïde du massif facial centré sur le prémaxillaire

Cas clinique

Un patient de 51 ans, en bon état général OMS 0, tabagique, et aux antécédents notables de coronaropathie stentée, sous antiagrégant plaquettaire, a consulté son chirurgien-dentiste pour une mobilité indolore de la dent 11.

L’état bucco-dentaire de ce patient était déjà considérablement altéré. L’extraction de la dent mobile a été réalisée, et une lésion bourgeonnante s’est révélée par la suite avec un écoulement purulent par la fosse nasale.

Le patient a été adressé auprès d’une consœur qui a réalisé une première biopsie dont les résultats lui ont fait suspecter l’existence d’un carcinome. Une biopsie large de la lésion a été réalisée sous anesthésie générale en soulevant un lambeau de fibromuqueuse palatine ensuite repositionné et suturé. L’anatomopathologie montrait un carcinome épidermoïde infiltrant bien différencié, kératinisant, infiltrant l’os et la muqueuse.

Bilan

Le bilan a été complété par une panendoscopie des voies aérodigestives supérieures, un scanner cervico-facial et thoracique injecté, une IRM du massif facial et un TEP-scanner.

Le bilan complet révélait la présence d’une tumeur prémaxillaire lytique envahissant l’infrastructure et le vestibule, avec une communication entre le plancher des fosses nasales et la cavité buccale (fig. 1 et 2).

La lésion envahissait la partie postérieure de la columelle, le pied de la cloison, sans atteinte du plancher des sinus maxillaires. En postérieur, la lésion restait à distance des tubérosités maxillaires et très à distance des ptérygoïdes (fig. 3 à 6).

Il existait des adénopathies cervicales bilatérales hypermétaboliques avec un SUV max à 4,8 au TEP-scanner, sans lésion à distance.

Le TEP-scanner est indiqué dans le bilan initial d’une adénopathie cervicale sans primitif retrouvé ainsi que dans les tumeurs à haut risque métastatique (≥ N2b, adénopathie dans les secteurs IV et V) ou pour étudier une image retrouvée lors du scanner thoracique.

Le SUV (Standardized Uptake Value) caractérise l’intensité de la fixation cellulaire du 18-FDG (fluoro-desoxy-glucose). Les cellules tumorales sont avides de FDG, le SUV est donc plus élevé sur des zones tumorales primitives ou métastatiques. Si le FDG est réparti de façon homogène dans l’organisme, le SUV est de 1. Une valeur supérieure est un hypermétabolisme qui peut être physiologique ou pathologique.

Traitement

Après discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), une prise en charge curative a été proposée, associant un traitement par chirurgie puis par radiothérapie adjuvante.

La chirurgie a consisté en une maxillectomie totale bilatérale emportant les cloisons inter-sinuso-nasales, respectant les malaires et les tubérosités maxillaires, passant sous les foramens infra-orbitaires mais étendue au plan cutané (columelle et ailes narinaires) en respectant la lèvre.

Un traitement des aires ganglionnaires a été associé, par curage cervical bilatéral des groupes I, II, III et IV.

La reconstruction a été assurée par un lambeau libre de fibula droite, compte-tenu de l’interruption des deux piliers canins. Le pilier canin limite de chaque côté la région du prémaxillaire qui constitue la fondation sur laquelle repose la portion centrale du visage. Son interruption s’accompagne de déformations inesthétiques et de conséquences fonctionnelles. Cela nécessite soit la mise en place d’une prothèse obturatrice, soit un geste de reconstruction permettant une réhabilitation dentaire [1].

Lors de la maxillectomie totale du patient, un pilier canin a été emporté et la région prémaxillaire a donc été touchée. La ligne médiane ayant été dépassée, une prothèse obturatrice devenait insuffisante et était inférieure en termes de résultat fonctionnel et esthétique par rapport à une reconstruction osseuse. Cette dernière se devait d’être vascularisée compte-tenu du milieu septique (salive et sécrétions naso-sinusiennes) et de la pression appliquée à cette région.

Le pilier canin controlatéral ayant été impliqué, la taille de l’angle de la scapula d’un lambeau scapulo-dorsal devient insuffisante et un lambeau de fibula est alors indiqué (fig. 7).

L’anatomopathologie définitive a retrouvé un carcinome épidermoïde d’infiltration massive bien différencié du massif facial centré sur le prémaxillaire pT3 (40 x 40 mm) R0 (> 5 mm), E-, EPN- ; pN0.

Il a été validé l’indication d’une radiothérapie postopératoire seule, avec 66 Gy en 33 séances sur le lit opératoire et 56 Gy sur les aires ganglionnaires cervicales bilatérales.

Points importants

  • Le cancer des voies aéro-digestives supérieures représente le cinquième cancer en France, avec une prédominance masculine. La cavité buccale en représente 20 à 25 %, avec 4677 nouveaux cas en France métropolitaine en 2018 [2]. L’histologie la plus fréquente est le carcinome épidermoïde.
  • Les tumeurs malignes de la cavité buccale, des fosses nasales, des sinus de la face et du massif facial peuvent se révéler par une symptomatologie aspécifique et propre à la localisation tumorale. Le caractère persistant de plus de trois semaines de tout symptôme et de toute lésion doit faire rechercher une tumeur (souvent initialement pauci-symptomatique). L’amélioration transitoire par un traitement antibiotique ne doit pas être un élément rassurant [3]. L’intoxication tabagique et alcoolique sont des facteurs de risques bien connus et d’action synergique. Cependant, de plus en plus de patients de tranche d’âge plus jeune présentent des carcinomes épidermoïdes liés à l’HPV, notamment au niveau de l’oropharynx. Les sujets âgés, quant à eux, voient l’incidence des cancers de la cavité buccale augmenter ces dernières années.
  • La découverte de ces lésions par les chirurgiens-dentistes reste fréquente, et ces derniers jouent un rôle important dans le diagnostic en orientant le patient vers une consœur ou un confrère dans les meilleurs délais. Ils peuvent également faire gagner un temps précieux au patient :
    – en lui prescrivant d’emblée un scanner du massif facial et cervical injecté, un scanner thoracique et une IRM du massif facial et cervicale injectée ;
    – en réalisant la biopsie sous anesthésie locale au cabinet et en l’envoyant en urgence en anatomopathologie.
  • Une réunion de concertation pluridisciplinaire d’oncologie de la tête et cou prend la décision de la prise en charge en expliquant au patient les modalités du traitement proposé, ainsi que ses alternatives. Le traitement de référence de première intention pour les carcinomes épidermoïdes de la cavité buccale est la chirurgie ± associé à la radiothérapie/chimiothérapie [4].
  • Un suivi est instauré sur le long terme. Il permet de diagnostiquer les récidives et les secondes localisations, de proposer le sevrage des addictions, mais également de s’assurer de la qualité de vie du patient.
Références
1. Moya Plana A, Kolb F, Janot F. Chirurgie des tumeurs sinusiennes. Elsevier Masson, 2017.

2. Site de l’Institut National du Cancer. Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018. Juillet 2019. [En ligne]

3. Site de l’Institut National du Cancer. Cancers des voies aérodigestives supérieures. Du diagnostic au suivi. Juillet 2018. [En ligne]

4. Machiels JP et coll. Squamous cell carcinoma of the oral cavity, larynx, oropharynx and hypopharynx: EHNS-ESMO-ESTRO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. Ann Oncol 2020;31(11):1462-75.

Alexis Saadoun
Institut Gustave Roussy
Cancer Campus Grand Paris, Villejuif

Nadia Benmoussa-Rebibo
Institut Gustave Roussy
Cancer Campus Grand Paris, Villejuif

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