Chronobiologie et anesthésie dentaire
D’abord, quelques éléments d’ordre général pour comprendre de quoi il retourne :
- la chronobiologie étudie le rôle des rythmes biologiques dans le fonctionnement de l’organisme. Par exemple, on observe plus d’accidents vasculaires cérébraux et crises cardiaques le matin par rapport à tout autre moment de la journée, et, singulièrement, le lundi ; autre exemple : les arthrosiques ressentent moins de douleur le matin que dans la nuit ; par contre, l’asthme est « volontiers » nocturne, car il existe un rythme circadien (du latin circa diem = environ un jour) du calibre des bronches (minimum durant la nuit), et le système bronchique est plus sensible aux allergènes la nuit ou de bon matin.
Répartition dans le temps de 1631 crises d’asthme chez 3129 patients (modifié d’après U. Dethlefsen et R. Repges. Ein neues Therapieprinzip bei nächtlichem Asthma. Medizinische Klinik.1985, 80, 44-47). D’observation plus quotidienne est le pic d’accidents entre 1h et 4h du matin, en corrélation avec le rythme circadien de la vigilance. On peut multiplier les exemples.
- la chronopharmacologie étudie l’influence du moment où on administre un médicament sur son efficacité (chronoefficacité), ou sur ses effets indésirables (chronotoxicologie). Par exemple, la prise d’anti-inflammatoires le soir diminue leurs effets indésirables.
Il existe ainsi un cycle circadien pour la perception de la douleur, et un pour l’efficacité des anesthésiques locaux utilisés en dentisterie.
Il a été montré que, pour les dents, le seuil douloureux (donc la sensibilité dentaire minimale) est maximum entre 15 heures et 18 heures, tandis qu’il est très abaissé (sensibilité douloureuse maximale) vers 8 heures du matin, avec une différence de 160% !

En 1977, A Reinberg et MA Reinberg ont démontré que l’administration de lidocaïne pour anesthésier des dents répondait à un rythme circadien : la durée d’anesthésie la plus longue s’observait vers 15 heures, et il existait une différence de 100% entre les valeurs.
Pöllmann en utilisant de la mépivacaïne, retrouve un horaire optimum à 15 heures, et une augmentation d’efficacité de 69%.
Sur des volontaires sains, mais aussi sur des patients recevant des soins de dentisterie conservatrice, Lemmer et Wremers ont montré qu’il existe un rythme circadien pour la durée d’anesthésie locale procurée par de l’articaïne adrénalinée : l’anesthésie est maximale à 14 heures, et minimale à 17 heures ; l’amélioration est de 37%. Votre œil averti et votre esprit en éveil auront détecté que, quelle que soit la molécule anesthésique utilisée, elle fonctionne mieux en début d’après-midi.

Enfin, en médecine, les équipes françaises de Bruguerolle, Chassard, entre autres, ont réalisé de très nombreuses études scientifiquement validées.
Détail qui a son importance : nous ne parlons évidemment pas, ici, de la pseudo théorie des « biorythmes », selon laquelle nous serions gouvernés par trois rythmes physique (18 jours), émotionnel (21 jours), et intellectuel (26 jours) , sans aucun début de fondement scientifique identifié à ce jour.
Le facteur chronobiologique devrait être considéré au même titre que toutes les autres variables dans les études portant sur l’efficacité des anesthésiques locaux ; en fait, il n’est jamais pris en compte, de sorte qu’on pourrait se poser la question de la validité des nombreuses études faites sur l’efficacité de telle ou telle molécule anesthésique. Récemment, diverses thèses ont été réalisées sur la comparaison de deux techniques d’anesthésie : dans le protocole, remarquablement élaboré, il était envisagé de noter l’influence du temps, mais on ne retrouve pas cette préoccupation dans les résultats publiés.
De même, quand nous choisissons un anesthésique local, nous réfléchissons – normalement – à divers facteurs, comme le taux de succès selon la technique utilisée, le délai de mise en place et la durée attendue de l’anesthésie, mais nous négligeons le fait que les anesthésiques locaux voient leur efficacité et leur toxicité varier en fonction de l’heure d’administration.
Est-ce à dire qu’il faut décider d’anesthésier tous les patients entre 14 heures et 16 heures ?

Peut-être pas. Mais, face à un patient pour lequel systématiquement l’anesthésie délivrée à tel moment se solde par un échec, il peut être judicieux d’envisager de déplacer l’horaire de la séance de soins. Idem pour des patients, comme les personnes âgées, requérant une bonne analgésie, avec des doses minimales, ou bien pour des actes difficiles ou longs (traitement des dents en pulpite, extractions de dents incluses compliquées): réserver le « créneau horaire » 14h-17h pourrait s’avérer judicieux.
2 – Avez-vous déjà remarqué dans votre exercice quotidien des variations de la qualité de vos anesthésies selon l’heure d’administration ?
3 – Cela vous a-t-il entraîné à modifier votre pratique anesthésique ?
Commentaires
pour répondre aux 3 questions , en 1983 j’ai rédigé une thèse :
considérations chronobiologiques à propos des résorptions radiculaires d’origine orthodontique
oui la chronobiologie s’est imposée dans de multiples domaines médicaux mais un peu moins dans le domaine dentaire.
Les travaux de Reinberg étaient pourtant à l’avant garde .
Quelques fois il ne suffit pas d’avoir raison trop top ,il faut savoir se faire entendre et noyés sous la masse de contraintes: CCAM , devis inique et autres obligations , nous n’avons pas le temps de faire preuve de bon sens , que le temps de la retraite est déjà là !!!!!!!
Bonjour,
Oui, on a déjà entendu parlé de chronobiologie, mais rarement dans la profession. Le sujet permettra de mieux comprendre pourquoi certains de nos patients sont « résistants » aux AL.
Merci!
Bonjour,
j’ai entendu parler des Reinberg , j’ai même assisté au cours d’Alain Reinberg en Fac à Paris.J’ai toujours regretté de ne pas avoir passé le
D U pour des problèmes de santé.J’ai durant trente deux ans essayé d’appliquer les principes de la Chronobiologie pour les anesthésies et de les transmettre au « jeunes » avec qui j’ai pu travailler.
Certains m’ont pris pour un « doux dingue »;d’autres m’ont plus ou moins écouté.
Personnellement je crois pouvoir dire que les résultats étaient positifs dans 70 cas sur cent , les échecs souvent imputable à une inflammation sous mal enrayée.